Régularisation des offres : précisions sur la notion de “caractéristiques substantielles”

Le voile se lève peu à peu sur le contour des “caractéristiques substantielles” des offres, que l’article R.2152-2 du Code de la commande publique interdit de modifier à l’occasion d’une démarche de régularisation des offres initiée par l’acheteur.

Par son arrêt 22PA00120 du 5 juillet 2024, la cour administrative d’appel Paris précise que les caractéristiques substantielles d’une offre sont ses éléments déterminants pris en compte pour la comparer aux offres concurrentes, ajoutons, sur la base des critères et sous-critères définis par le règlement de consultation.

Dans l’affaire jugée, la cour considère que, consécutivement à un oubli de chiffrage de certaines prestations dans le prix initial, la régularisation de l’offre conduisant à une augmentation de 10,26 % de ce prix était une modification d’une caractéristique substantielle de l’offre.

On notera au passage que la tentative de rapprochement entre les notions de caractéristiques non substantielles de l’offre (susceptibles d’être modifiées à l’occasion d’une régularisation de l’offre) et de modifications non substantielles du marché (admises pendant son exécution) ne semble pas pertinente : une modification du montant du marché de + 10,26 % n’étant pas considérée d’emblée comme une modification substantielle (même si elle excède, de peu, le seuil des modifications de faibles montants admis pour les marchés publics de services).

Arnaud LATRECHE

Une offre ne respectant pas le CCTP n’est pas nécessairement non conforme au CCTP !

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai le 9 janvier 2024 (n°22DA02510) pourrait être ainsi résumé : seul le résultat compte.

Le caractère irrégulier de l’offre de l’attributaire était mis en avant par l’entreprise classée en seconde position. Rappelons que selon l’article L.2152-2 du code de la commande publique, est irrégulière “une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation“.

Les enceintes proposées par l’attributaire ne respectaient pas l’ensemble des caractéristiques techniques définies par le CCTP : clusters principaux (L et R) devant être suspendus aux porteuses du cadre de scène et répondre aux caractéristiques techniques minimum suivantes : enceinte WST 2 voies modulaires (LF : 2×8” + HF : 1×3”) – bande passante utile : 55 Hz – 20 kHz (-10 dB) – ouverture horizontale : 110° – max SPL : 141 dB (1m).

Selon le juge, ces stipulations du CCTP ne pouvaient exclure l’installation d’équipements équivalents.

Or, les enceintes proposées par l’attributaire, bien que différentes pour partie de celles décrites dans le CCTP, respectaient l’objectif d’une couverture sonore minimum de 110 dB SPL (A), également imposé par le CCTP. L’équivalence était ainsi établie.

Par conséquent, l’offre de l’attributaire ne pouvait être considérée comme non conforme au CCTP et n’était donc pas irrégulière.

Il semble ainsi admis que lorsque le CCTP définit une obligation de résultat (ici, la performance de couverture sonore), l’offre qui respecte cette obligation est recevable, peu importe qu’elle ne soit pas conforme aux moyens définis par le CCTP (les spécifications techniques) pour atteindre ce résultat.

Conseils de la DAJ pour la notation du critère prix : prudence !

Quelques remarques à propos de la récente fiche de la DAJ de Bercy relative aux méthodes de notation du critère « prix ».

On ne peut que saluer une nouvelle fois la volonté de pédagogie et d’accompagnement dont la DAJ fait preuve.

Une position contraire au Code de la commande publique ?

Cependant, une des affirmations que contient cette fiche en note de bas de page interroge.

Selon la note n° 4, « sont contraires au droit de la commande publique, notamment les critères de sélection suivants : la méthodologie commerciale, à l’organisation du candidat, ou encore aux moyens humains et techniques affectés au marché ».

Selon la DAJ, l’acheteur ne pourrait donc valablement retenir comme critère de jugement des offres l’organisation du candidat, ni les moyens humains et techniques affectés au marché.

Ce postulat semble contradictoire avec le 2° de l’article R.2152-7 du CCP.

Ce dernier liste en effet parmi les critères d’attribution « c) l’organisation, les qualifications et l’expérience du personnel assigné à l’exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d’exécution du marché ».

Le Conseil d’Etat a par ailleurs jugé que, sous réserve qu’il soit lié à l’objet du marché et qu’il ne soit pas discriminatoire, l’acheteur peut retenir un critère ou un sous-critère relatif aux moyens en personnel et matériel affectés par le candidat à l’exécution des prestations afin d’en garantir la qualité technique (CE, 13 juin 2016, n° 396403CE, 11 mars 2013, n° 364706).

A moins qu’il ne s’agisse là que d’une simple erreur de plume, la doctrine de la DAJ apparaît plus restrictive que le Code et la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Bonne ou mauvaise formule ?

En outre, nous attirons l’attention des acheteurs sur l’un des effets de la méthode de notation linéaire que propose la DAJ. Comme elle le relève à juste titre, cette formule conduit à attribuer systématiquement la note 0 à l’offre dont le prix est le plus élevé, quel que soit l’écart de ce prix avec le prix le plus bas.

Cette formule s’avère donc très risquée, notamment, lorsque deux offres seulement sont présentées avec un écart de prix très faible. A titre d’exemple, une offre de prix à 100 euros obtiendrait la note maximale, et une offre de prix à 101 euros obtiendrait la note 0.

Dans une telle situation, il est plus que probable que le juge sanctionne l’application de cette formule, comme il l’a déjà fait s’agissant de formules qui produisaient cet effet (CE, 24 mai 2017, n° 405787CAA Paris, 8 février 2016, n° 15PA02953).

Enfin, le conseil de la DAJ invitant l’acheteur à tester différentes formules avant le lancement de la consultation selon l’hétérogénéité des prix peut effectivement présenter un intérêt.

Avec cette limite toutefois : l’acheteur ne sait pas combien d’offres il recevra, et quels seront les prix (en principe…).

Dans la mesure où la formule de notation devra, à défaut d’être mentionnée dans le RC, être définie avant l’ouverture des offres (selon toute vraisemblance…), l’acheteur pourra difficilement avoir la garantie qu’il choisira la formule la plus adaptée.

La formule classique, à défaut d’être parfaite, n’est pas si mal.

Arnaud LATRECHE

Vérification des candidatures : l’AAP saisit la DAJ de Bercy d’un vide juridique

Selon l’article L.2141-4 du Code de la commande publique, les opérateurs qui n’ont pas respecté l’obligation de négociation sur l’égalité professionnelle femmes-hommes prévue par l’article L.2242-1 du Code du travail sont exclus de la commande publique.

Or, le Code de la commande publique ne précise pas la nature du document permettant aux acheteurs de vérifier que les opérateurs attributaires de marchés sont irréprochables sur ce sujet.

L’AAP a fait part de cette difficulté à la DAJ de Bercy.

La vigilance reste d’actualité afin d’éviter que le même vide se reproduise vis-à-vis d’un probable nouveau cas d’exclusion lié à l’index égalité professionnelle, annoncé par le Gouvernement dans le cadre du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027).

Déclaration sans suite : peut-elle être justifiée par une faute de l’acheteur ?

Un acheteur attribue à tort un marché à une entreprise qui n’avait pas justifié ses capacités financières, techniques et professionnelles.

L’occasion de rappeler que l’analyse de l’ensemble des candidatures ou de la seule candidature de l’attributaire pressenti est une étape obligatoire, et que cette analyse critique du dossier de candidature ne se limite pas à constater la présence des documents exigés.

Saisi par l’opérateur classé second, le juge des référés précontractuels du TA de Montreuil annule la procédure à compter de l’analyse des offres. Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi en cassation de l’acheteur.

L’acheteur décide alors de déclarer sans suite la procédure de passation du marché en cause.

L’opérateur sollicite alors l’indemnisation du manque à gagner qu’il estime avoir subi du fait de cette décision, dont il conteste la légalité.

En appel du jugement du TA ayant rejeté cette demande indemnitaire, par un arrêt du 13 janvier 2023 (n° 21PA02640), la CAA de Paris juge que l’acheteur pouvait valablement décider de déclarer sans suite la procédure de passation du marché.

L’irrégularité affectant l’analyse des candidatures, sur laquelle la décision est fondée, constitue bien un motif d’intérêt général permettant à l’acheteur d’abandonner la procédure. Peu importe, ajoute la cour, que cette décision résulte d’une faute commise par l’acheteur lors de l’analyse.

Arnaud LATRECHE

Modification non substantielle du CCTP : illustration

Par un arrêt du 8 novembre 2022 (n° 20PA03669), la CAA de Paris devait se prononcer sur la caractère substantiel ou non d’une modification du marché.

Relevons ce fait inhabituel, la société à l’origine du recours était le fournisseur pressenti avec lequel l’attributaire avait présenté son offre (la marque de ce fournisseur était mentionné comme référence dans le CCTP). Après notification du marché, l’entreprise titulaire avait finalement choisi un fournisseur concurrent.

La CAA de Paris a jugé que la mise en place d’une cuve ovoïde et non ronde, sans couvercle et dont le centre et le bas de l’ouverture se situent respectivement à 83 et 72 cm du sol au lieu des 90 cm prévus ne constituait pas une modification substantielle du marché.

En effet, pour la cour, ces modifications :

  • ne remettent pas en cause les conditions initiales de la mise en concurrence ;
  • ne modifient pas considérablement l’objet du marché ;
  • ne changent pas la nature globale du marché.

    Une question connexe peut se poser : si ces caractéristiques dérogatoires au CCTP avaient été proposées ab initio dans l’offre de l’entreprise, l’irrégularité de cette offre (induite par ces dérogations) aurait-elle pu être régularisée… ?

    Exigence d’une signature électronique de l’offre : quelles conséquences ?

    Relayé par lemoniteur.fr, un jugement du tribunal administratif de Caen du 29 juillet 2022 (n° 2101168) illustre les conséquences de l’obligation de signer électroniquement les offres, posée par le règlement de consultation :

    • l’acte d’engagement qui n’est pas signé électroniquement rend l’offre irrégulière, peu importe que ce document comporte une signature manuscrite ;
    • cette irrégularité peut, semble-t-il, être régularisée.

    Rappelons que le Code de la commande publique n’impose pas la signature de l’offre.

    L’opportunité d’exiger alors une telle formalité dans le règlement de consultation mérite sans doute d’être débattue à l’aune des conséquences qu’en tire le juge.

    On peut comprendre que certains acheteurs exigent la signature des offres par l’ensemble des soumissionnaires, redoutant que, à défaut, l’opérateur attributaire puisse tarder à signer l’acte d’engagement (volontairement ou non !) et retarder ainsi le début d’exécution des prestations.

    Toutefois, l’exigence de signature de l’offre pourrait soulever une question, qui n’était pas soumise au tribunal faute de moyen en ce sens soulevé par la société requérante : l’acheteur peut-il valablement imposer une telle condition, plus restrictive que le code, et restreindre ainsi la liberté d’accès à la commande publique ?

    Arnaud LATRECHE – 12/08/2022

    Identité du futur opérateur attributaire du marché : l’incertitude est la règle !

    A l’exception des marchés publics susceptibles d’être attribués sans mise en concurrence préalable (articles R.2122-1 à R.2122-11 CCP), lorsqu’il rédige les documents de consultation, l’acheteur ne saurait avoir déjà choisi l’opérateur qu’il entend retenir. La définition des obligations contractuelles, le choix des critères et sous-critères de jugement des offres par l’acheteur ne sauraient lui permettre d’identifier ab initio l’opérateur qui sera en capacité de satisfaire les stipulations du contrat, ou qui obtiendra nécessairement le meilleur positionnement sur les critères.

    L’identité de cet opérateur doit demeurer incertaine à ce stade de la préparation de la passation du marché. A défaut, l’acheteur méconnaît son obligation d’impartialité, laquelle justifie à elle seule l’annulation du marché.

    Rappel de ce principe essentiel par un arrêt du 17 décembre 2021 de la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 17 décembre 2021, n° 19PA03448).

    Arnaud LATRECHE – 02/03/2022

    Prise illégale d’intérêts : l’intérêt “quelconque” n’est plus sanctionné

    L’article 432-12 du Code pénal qui définit le délit de prise illégale d’intérêts a été modifié par l’article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

    Jusqu’alors, le délit était caractérisé par le simple fait de prendre, recevoir ou conserver un intérêt “quelconque” dans une entreprise ou une opération.

    Désormais, l’intérêt condamnable vise celui qui est de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de la personne.

    Nouvelle rédaction de l’article 432-12 du Code pénal : “Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.”

    Offre anormalement basse : obligation d’informer l’entreprise du risque de rejet

    Relayée par Maître Nicolas Lafay sur le site achatpublic.info, une ordonnance du 18 juin 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles apporte des précisions quant au contenu de la demande de justification que l’acheteur doit adresser à l’opérateur suspecté d’avoir proposé une offre anormalement basse (TA Versailles, 18 juin 2021, SARL Italiano Bâtiment, n° 2104322).

    Selon le juge, la demande de justification prévue par l’article R.2152-3 du Code de la commande publique doit en effet avertir l’opérateur questionné du risque de rejet de son offre si les explications qu’il fournit pour justifier le niveau bas son prix ne sont pas convaincantes : “[…] la procédure contradictoire spécialement instituée par les dispositions précitées de l’article R. 2152-3 du code de la commande publique implique nécessairement que le soumissionnaire soupçonné de présenter une offre anormalement basse soit clairement informé du risque de voir son offre écartée pour ce motif afin qu’il soit en mesure de justifier pleinement et utilement du caractère sérieux de son offre […]”.

    Or, cette obligation d’information préalable, quant à l’éventualité d’un rejet de l’offre, ne ressort pas des dispositions mêmes de l’article R.2152-3 du code, ni davantage d’ailleurs des autres dispositions légales ou réglementaires qui abordent ce sujet.

    Une omission de taille qu’il serait sans doute pertinent de compléter, afin que les acheteurs qui suivent à la lettre le code de la commande publique ne puissent se voir reprocher de ne pas être à la page.

    Arnaud LATRECHE

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