L’indemnité d’imprévision : modalités de règlement et imputation budgétaire

Un règlement à part du solde du marché

L’indemnité d’imprévision, à laquelle l’entreprise peut prétendre dans le cadre de l’exécution d’un marché public, compense partiellement les charges extracontractuelles imprévisibles et excessives, que l’entreprise démontre avoir subies sans en être elle-même à l’origine.

Conséquence : le montant de l’indemnité d’imprévision n’a pas vocation à être inscrit dans le projet de décompte final de l’entreprise, ni dans le décompte général établi par l’acheteur. Elle est réglée en dehors du cadre de l’établissement du solde du marché, par l’intermédiaire d’une convention distincte de ce dernier (Réponse à QE n° 05195 de Arnaud Bazin, JO Sénat du 28/09/2023 – Réponse à QE n° 04406 de Laure Darcos, JO du Sénat du 07/09/2023).

Un financement par les crédits budgétaires de la section de fonctionnement

Dans la mesure où il s’agit d’une charge extracontractuelle compensant un préjudice, l’indemnité d’imprévision doit toujours être imputée sur la section de fonctionnement (OPEX) : peu importe que le marché en cause soit financé par des crédits de la section de fonctionnement ou de la section d’investissement (CAPEX).

Conséquence : les collectivités territoriales ne peuvent pas bénéficier du fond de compensation forfaitaire pour la TVA (FCTVA) à laquelle l’indemnité d’imprévision est malgré tout soumise selon la doctrine de la DAJ de Bercy et la doctrine fiscale (Bulletin officiel des finances publiques-Impôts, BOI-TVA-BASE-10-10-50 paragraphe 260 ).

Conclusion : la passation d’un avenant sur le fondement des circonstances imprévues (R.2194-5 du Code de la commande publique) est une piste à privilégier pour les achats d’investissement.

Arnaud LATRECHE – 03 octobre 2023

Transfert du marché à un tiers : la cession peut être effective même sans avenant !

Par un arrêt n° 21MA00636 du 5 juin 2023, la cour administrative d’appel Marseille rappelle que la cession du contrat produit ses effets dès que l’acheteur l’a acceptée expressément ou tacitement, peu importe qu’aucun avenant de transfert n’ait été signé à la suite de cet accord.

Dans l’affaire jugée, l’acheteur avait été informé de la substitution d’un tiers à son cocontractant initial et avait laissé ce tiers exécuter les prestations. Par ailleurs, l’assemblée délibérante de l’acheteur avait approuvé le projet d’avenant de cession du marché.
Selon la cour, ces circonstances traduisent l’accord de l’acheteur et rendent la cession du marché effective, même en l’absence d’avenant.

Le juge d’appel Marseillais avait déjà jugé dans ce sens. L’arrêt n° 17MA04935 du 29 juin 2020 énonce que ” faute d’avoir été autorisée ou avalisée par la collectivité publique contractante, la cession est réputée nulle et seul le cédant demeure contractuellement lié à l’administration. Cet aval peut cependant régulièrement résulter, eu égard aux liens entre le cédant et le cessionnaire, et sans qu’il soit alors besoin de le formaliser par une décision expresse ou par la signature d’un avenant, du comportement de la collectivité publique en cause, lorsqu’il manifeste sans ambiguïté qu’elle entend poursuivre l’exécution du marché avec la nouvelle entité.”

Ces décisions juridictionnelles permettent d’établir l’effectivité de la cession et « devraient » convaincre le comptable public d’accepter la mise en œuvre financière de cette cession (paiement au nouveau titulaire), même en l’absence d’avenant de transfert du marché.

Toutefois, l’absence de formalisme juridique que le juge administratif tolère lorsqu’il reconnaît ainsi la cession tacite du marché est susceptible de se heurter à la rigueur du formalisme comptable pesant sur l’exécution du marché. En effet, à défaut d’avenant et compte tenu de la liste des pièces justificatives des dépenses publiques (voir, notamment, l’annexe 1 du Code général des collectivités territoriales, point 1 de la rubrique “412212. Autres pièces générales, le cas échéant“), il n’est pas certain que le comptable public fasse preuve de la même mansuétude.

Le refus persistant du comptable public (fondé à tort sur l’absence formelle d’avenant) exposerait alors l’acheteur à un référé provision de la part du nouveau titulaire, dont il est plus que probable que l’issue lui serait favorable !

Arnaud LATRECHE – 08 août 2023

Modification des conditions d’utilisation de la carte achat

Le décret n° 2023-209 du 27 mars 2023 modifie les conditions d’utilisation de la carte achat pour le paiement des marchés publics.

Pour mémoire, le précédent décret du 26 octobre 2004, excluait l’utilisation de la carte achat pour :

  • Les marchés publics de travaux, sauf décision de l’acheteur motivée par des besoins d’entretien et de réparation courants n’ayant pas fait l’objet d’un programme ;
  • Les marchés publics ayant donné lieu au versement d’un avance forfaitaire ou facultative.

Le décret du 27 mars 2023, en sus d’une reformulation des cas exclusions existants, pose une nouvelle interdiction :

  • Les marchés publics de travaux, sauf décision de l’acheteur motivée par des besoins d’entretien et de réparation courants non immobilisés ;
  • Les marchés publics ayant donné lieu au versement d’un avance ;
  • Les marchés publics portant sur des achats soumis à une comptabilisation sur comptes de stocks.

Quand les règles de la comptabilité restreignent la modernisation des moyens de paiement…

Paiement du fournisseur du sous-traitant : la modification du DC4 s’impose-t-elle ?

L’AAP propose à ses adhérents un modèle de convention de délégation de paiement du fournisseur du titulaire du marché (Documentation / Modèle/Clausier).

Dans la mesure où, à notre connaissance, aucune disposition ni aucun principe ne l’interdit, l’acheteur peut également accepter de prendre en charge le paiement du fournisseur du sous-traitant du titulaire (1er rang), ce sous-traitant bénéficiant généralement du paiement direct par l’acheteur.

Une convention de délégation de paiement doit alors être conclue entre l’acheteur, le sous-traitant de 1er rang et son fournisseur. La somme versée au fournisseur du sous-traitant par l’acheteur est alors déduite du montant du paiement direct du sous-traitant.

Dans l’hypothèse où une convention de délégation de paiement du fournisseur du sous-traitant a été conclue, le formulaire DC4 doit-il être modifié afin que le montant des prestations sous-traitées qu’il mentionne soit diminué à hauteur du montant versé au fournisseur du sous-traitant ?

Nous ne le pensons pas. En effet, la somme due au sous-traitant de 1er rang est déduite de la somme versée au titulaire du marché. Le montant mentionné dans le formulaire DC4, devant être réglé au sous-traitant, est censé correspondre au montant convenu dans le contrat de sous-traitance (ou sous-traité).

La diminution du montant sous-traité stipulé dans le formulaire DC4, à hauteur de la somme devant être versée au fournisseur du sous-traitant (par application de la convention de délégation de paiement), laisserait alors entendre que la part revenant au titulaire du marché augmente du même montant et que le contrat de sous-traitance a été modifié en conséquence.

Paradoxalement, cette nouvelle répartition entre le titulaire et le sous-traitant s’opposerait ainsi à ce que le fournisseur du sous-traitant puisse obtenir le paiement de la somme dont le montant a été déduit du formulaire DC4.

Dès lors, la convention de délégation de paiement stipulant que les sommes versées au fournisseur sont déduites des sommes versées au sous-traitant paraît suffisante.

Arnaud LATRECHE – 20 janvier 2023

Réduction des pénalités à 80 % du montant du marché par le juge !

Depuis que le juge accepte de minorer le montant des pénalités de retard mises à la charge du titulaire du marché, la question se pose du caractère excessif ou non du montant de celles-ci.

Loin de faire l’unanimité du côté des acheteurs, la réforme des CCAG intervenue en 2021 a plafonné le montant total des pénalités de retard à 10 % du montant du marché.

La légitimité de ce taux et l’opportunité d’y déroger ou non méritent d’être réinterrogées à l’aune d’un arrêt du 19 octobre 2022 de la cour administrative d’appel de Bordeaux (n° 20BX02218).

Dans cette affaire, sans surprise, le juge a considéré comme excessives les pénalités de retard représentant + 330 % du montant du marché.

En revanche, le juge a malgré tout réduit leur part à 80 % du montant du marché, compte tenu de l’ampleur du retard et de ses conséquences pour l’acheteur :

  • 400 jours d’indisponibilités de certaines fonctionnalités de l’application de facturation des services publics en cause ;
  • recrutement de 3 agents pour pallier les dysfonctionnements de l’application ;
  • perte de recettes.

A méditer.

Vers une augmentation du taux des intérêts moratoires au 1er janvier 2023


La fin du taux directeur de la Banque Centrale Européenne (BCE) à 0 % semble actée depuis l’été 2022.

Fixé à 0 % depuis le 10 mars 2016, la BCE a réévalué son taux de refinancement (taux refi) à 0,500 % le 21 juillet 2022, puis à 1,250 % le 8 septembre 2022. Ce taux a enfin été porté à 2,000 % le 27 octobre .

Conséquence : à compter du 1er janvier 2023, le taux des intérêts moratoires dus en cas de retard de paiement des contrats de la commande publique pourrait passer de 8 à 10 % (taux refi + 8 points).

Rappelons que le taux refi applicable pour le calcul des intérêts moratoires est le taux en vigueur le 1er jour du semestre de l’année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir.

  • Exemple :
    • Si le délai de paiement expire le 24 mars, on applique le taux refi en vigueur le 1er janvier + 8 points.
    • Si le délai de paiement expire le 24 juillet, on applique le taux refi en vigueur le 1er juillet + 8 points.


Transmission du projet de décompte final en cas de réception sous réserve : omissions du CCAG Travaux ?

Réception avec réserves ou sous réserve : comment choisir ?

Relayé sur le site achatpublic.info dans son info du jour du 27 juin 2022, l’arrêt de la CAA de Bordeaux du 1er juin 2022 (n° 22BX00102) est une traduction des dispositions du CCAG Travaux, lequel marque bien une différence, essentielle, entre :

  • La réception avec réserves : en cas d’imperfections ou de malfaçons (article 41.6) ;
  • La réception sous réserve lorsque :
    • la réalisation d’épreuves (test des ouvrages) est prévue au marché (article 41.4) ;
    • des prestations non exécutées doivent encore donner lieu à paiement (article 41.5) ;
    • le titulaire refuse la réfaction de prix proposée par le maître d’ouvrage (article 41.7).

Incidence de la distinction sur la transmission du projet de décompte final

La distinction entre ces deux notions emporte des conséquences sur le point de départ du délai de transmission du projet de décompte final (PDF) par le titulaire :

  • réception avec réserves :  le titulaire peut (doit) produire son PDF dans les 30 jours qui suivent la notification de la décision de réception avec réserves, sans attendre donc le levée desdites réserves (article 12.3.2) ;
  • réception sous réserve en application de l’article 41.5 (prestations non exécutées et devant donner lieu à paiement) : le titulaire ne peut transmettre son PDF que lorsque qu’il a reçu le PV constatant la levée desdites réserves (article 12.3.2) ;
  • réception prononcée à la fois avec réserves (41.6) et sous réserve en application de l’article 41.5 : le titulaire ne peut transmettre son PDF que lorsqu’il a reçu le PV constant la levée de l’ensemble des réserves (CAA Nancy, 16 juin 2022, n° 21NC02958).

Imprécision du CCAG Travaux

En revanche, le CCAG Travaux ne définit pas à quel moment le titulaire peut transmettre son PDF lorsque la réception sous réserve est prononcée en application des articles 41.4 (épreuves) ou 41.7 (refus par le titulaire de la réfaction de prix proposée par le maître d’ouvrage).

En effet, la règle posée par le deuxième alinéa de l’article 12.3.2, selon laquelle la date du PV de levée des réserves marque le point de départ du délai de transmission du PDF, ne s’applique expressément que lorsque la réception sous réserve est prononcée en application de l’article 41.5 (prestations non exécutées devant donner lieu à paiement).

Le premier alinéa de l’article 12.3.2 du CCAG précise certes que le PDF est transmis dans les 30 jours qui suivent la notification de la décision de réception “telle qu’elle est prévue à l’article 41.3” du CCAG. Or, l’article 41.3 évoque les seuls cas où la réception est ou non prononcée, ou prononcée avec réserves. Il semble donc inapplicable aux hypothèses de réceptions sous réserves visées par les articles 41.4 (épreuves) et 41.7 (refus de la réfaction de prix).

La question se pose donc, dans le silence du CCAG et des pièces particulières sur ce sujet, du point de départ du délai de transmission du PDF lorsque la réception sous réserve est prononcée en application des articles 41.4 et 41.7.

Convient-il de considérer que, à l’aune de ce que le CCAG prévoit s’agissant de l’article 41.5, dans tous les cas où la réception est prononcée sous réserve (articles 41.4, 41.5 et 41.7), le titulaire ne peut transmettre son PDF qu’à compter de la réception du PV de levée des réserves ?

Afin d’éviter tout débat sur le sujet, l’AAP recommande que le CCAP complète le deuxième alinéa de l’article 12.3.2 du CCAG Travaux comme suit :

Toutefois, s’il est fait application des stipulations des articles 41.4, 41.5 ou 41.7, la date du procès-verbal constant l’exécution concluante des épreuves ou l’exécution des travaux visés à ces articles est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus“.

Arnaud LATRECHE – 28 juin 2022

Mise à jour de la liste des PJ des dépenses publiques locales

Le décret n° 2022-505 du 23 mars 2022 (JO du 8 avril) modifie la liste des pièces justificatives des dépenses publiques des collectivités territoriales définie en annexe 1 du CGCT.

Une mise à jour qui était attendue depuis 2016 et que l’AAP avait sollicitée auprès d’Olivier Dussopt par un courrier du 8 mars 2022.

Cette nouvelle nomenclature est applicable depuis le 9 avril 2022.

Nomenclature des PJ des dépenses publiques locales : l’AAP demande sa mise jour

L’AAP sollicite Olivier Dussopt, Ministre délégué auprès du ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance chargé des Comptes publics.

Par un courrier qu’elle lui a adressé le 8 mars, elle sollicite la mise à jour de la nomenclature des pièces justificatives (PJ) des dépenses publiques des collectivités territoriales datant de janvier 2016, à l’instar de celle qui est intervenue en mai 2021 s’agissant de la nomenclature des PJ des dépenses de l’Etat.

En effet, depuis la publication du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, abrogé avec l’entrée en vigueur du code de la commande publique en avril 2019, plusieurs points de non conformité avec le droit de la commande publique demeurent.

Pièces justificatives des dépenses publiques : quand la Cour des comptes commet (à nouveau) une erreur de droit

Les comptables publics successives de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ont intégré dans la comptabilité de cet établissement les dépenses de transport de travailleurs saisonniers depuis le Maroc et la Tunisie vers la France. La Cour de comptes jugea que ces dépenses étaient irrégulières faute de respecter les conventions de main d’œuvre conclues avec le Maroc et la Tunisie en 1963. En effet, ces conventions prévoient la prise en charge des seuls frais de transports depuis le lieu d’arrivé en France jusqu’au lieu de travail. La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics fut alors engagée pour les exercices 2013 à 2017, pour un total de 1 978 835,84 euros pour l’une et 5 243 216,47 euros pour l’autre, augmentés des intérêts moratoires.

En cassation, le Conseil d’Etat annule la mise en débet des comptables au motif que la Cour des comptes a commis une erreur de droit (CE, 16 février 2022, n° 439427).

Conformément aux articles 19, 20 et 50 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, les contrôles mis à la charge des comptables publics portent, notamment, sur le caractère suffisant des pièces justificatives produites par l’ordonnateur de la dépense (intégralité, complétude, précision et cohérence des pièces au regard de la nomenclature comptable). Dès lors, les comptables peuvent certes être tenus d’apprécier juridiquement les actes produits par l’ordonnateur pour justifier les dépenses en cause. Toutefois, le Conseil d’Etat rappelle que « s’il leur appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité ». 

En l’espèce, les décisions prises par l’OFII permettaient aux régies d’avances qu’il avait instituées de prendre en charge les frais de transports des travailleurs saisonniers depuis le Maroc et la Tunisie vers la France. Par conséquent, dès lors que l’OFFI avait produit l’ensemble des pièces requises par la nomenclature pour justifier ces dépenses de transports, « les comptables étaient tenues d’intégrer les paiements litigieux dans la comptabilité de l’établissement ».

En effet, en jugeant que le paiement des frais de transports était irrégulier au motif que la décision de l’OFII de les prendre en charge était contraire aux conventions de main d’œuvre conclues avec ces deux pays, la Cour des comptes a exigé des comptables publics qu’elles se livrent à un contrôle de la légalité de pièces justificatives, contrôle qui n’entre pas dans leur office.

Le paiement d’une dépense par le comptable public ne saurait nécessairement traduire sa légalité.

Cette décision du Conseil d’Etat est bien évidemment transposable aux pièces justificatives des dépenses liées à la commande publique, dans le prolongement de ses décisions de 2012 (CE, 8 février 2012, n° 340698 et n° 342825).

Arnaud LATRECHE – 07 mars 2022

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