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EDITO D'AVRIL 2018
La maîtrise d'œuvre : du changement dans les procédures
La réglementation 2016 en matière de marchés publics n'en finit pas de nous étonner.
La maîtrise d'œuvre est un exemple parmi d'autres et est également concernée par quelques nouveautés dont une significative : le concours, tout comme le marché négocié qui en découle, ne font plus partie des procédures formalisées.
Le concours est désormais un mode de sélection d'un plan ou d'un projet et fait partie des techniques particulières d'achat prévues par le décret n° 2016-360.
En cas de désignation de lauréat(s), un marché négocié sans publicité et sans mise en concurrence devra être passé pour attribuer, au final, le marché de maîtrise d'œuvre.
Ce mode de sélection peut être utilisé quel que soit le montant du marché et quelle que soit la nature de l'opération.
Pour qu'un acheteur soumis à la loi MOP* signe un marché de maîtrise d'œuvre, il lui faut désormais opérer quelques déductions et croiser les informations disséminées entre les articles 8 de l'ordonnance n° 2015-899 et 30-I-6° et 88 à 90 du décret n °2016-360.
Voici un petit résumé de la démarche.
En premier lieu, il faut distinguer les opérations de constructions neuves de bâtiment, d'une part, et, d'autre part, les autres types d'opérations que sont la réhabilitation/réutilisation d'ouvrages, les projets urbains ou paysagers et les ouvrages d'infrastructure. Il est à noter que cette distinction n'a pas été modifiée par la nouvelle réglementation.
En second lieu, il faut déterminer le montant prévisionnel du marché de maîtrise d'œuvre, en y intégrant l'éventuelle prime (obligatoire en cas de remise de prestations) ainsi que la « marge » correspondant aux modifications à venir (et notamment celle qui permettra de définir le forfait définitif de rémunération du maître d'œuvre). Cette étape permettra ensuite de définir quelle procédure pourra être menée.
Ainsi, lorsque le montant estimé du marché de maîtrise d'œuvre est supérieur aux seuils européens, pour les opérations de bâtiment neuf, le concours restreint est la règle, suivi, en cas de désignation d'un ou plusieurs lauréats, d'un marché négocié sans publicité et sans mise en concurrence. Relevons au passage que, si plusieurs lauréats sont désignés, ceux-ci sont tous admis à négocier : il ne s'agira donc plus d'un marché négocié sans mise en concurrence. Par conséquent, des critères de jugement des offres devront avoir été déterminés ab initio pour anticiper ce cas de figure. Comme vu supra, il n'y a donc plus de procédure formalisée pour ces opérations.
Il en va différemment pour les autres opérations, pour lesquelles l'acheteur a le choix entre les différentes procédures formalisées (appel d'offres ; dialogue compétitif ; procédure concurrentielle avec négociations si des prestations de conception sont prévues au cahier des charges) et, également, le duo concours (ouvert ou restreint)/marché négocié.
S'agissant des collectivités territoriales, il est à noter que, quelle que soit la procédure (formalisée ou marché négocié), l'attribution du marché de maîtrise d'œuvre dont le montant est supérieur aux seuils européens relève de la compétence de la CAO, à l'instar des autres natures de prestations (fournitures, services et travaux).
Si le montant estimé du marché de maîtrise d'œuvres se trouve être en-deçà des seuils européens, quelle que soit la nature de l'opération, l'acheteur a le choix entre une procédure adaptée ou, là aussi, un concours (ouvert ou restreint)/marché négocié.
En revanche, les modalités de passation du concours ne sont pas modifiées par la nouvelle réglementation.
Autre changement notable dans les procédures propres à la maîtrise d'œuvre : le collège des « personnalités dont la participation présente un intérêt particulier » (article 22 du code des marchés publics) n'est plus évoqué à l'article 89 du décret qui aborde la composition du jury.
Les dispositions susvisées se contentent d'imposer un tiers au minimum de personnes qualifiées, indépendantes des participants au concours (désigné par l'exécutif). Par ailleurs, il est précisé que, s'agissant des collectivités territoriales, les membres élus de la CAO sont également membres du jury.
La nature ayant horreur du vide, la question se pose inévitablement de la possibilité d'inclure dans la composition du jury des personnes autres que celles listées à l'article 89 du décret : le ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique y répond par l'affirmative (Réponse du 7 juillet 2016 à la question du sénateur Jean-Claude Carle). Eu égard au principe de libre détermination par l'acheteur des modalités du concours (posé par l'article 88 du décret), les personnes devant composer le jury citées par l'article 89 constitueraient dès lors des profils minimum attendus des jurés, sans pour autant interdire la participation d'autres personnes à d'autres titres.
S'il s'agit bien là de l'interprétation qu'il convient de donner à l'article 89 du décret, il pourrait être opportun de l'exprimer plus nettement. Le futur code de la commande publique offre l'occasion d'y procéder.
Enfin, l'exclusion du duo concours/marché négocié des procédures formalisées a un effet collatéral dans l'exécution du marché. En effet, le décret n°2016-33 du 20 janvier 2016 fixant la liste des pièces justificatives des dépenses des collectivités territoriales, établissements publics locaux et établissements de santé, publié avant le décret n°2016-360, ne détermine pas la liste des pièces à fournir pour l'exécution d'un marché négocié sans publicité et sans mise en concurrence. La rubrique 41 de l'annexe au décret n°2016-33 ne traite que des procédures adaptées (rubrique 412) et des procédures formalisées (rubrique 413), ce que ne sont ni le concours, ni le marché négocié.
En attendant l'éventuelle modification du texte, le comptable pourra toujours s'appuyer sur le point 4, « Définition et principes » en préambule de l'annexe au décret, pour demander les pièces justificatives qui lui permettront d'effectuer ses contrôles. A cet effet, il devra se référer à une dépense similaire répertoriée, puisque la dépense n'est pas prévue dans la liste.
Pour terminer, l'acheteur ne devra pas oublier de prévoir expressément, dans les CCAP de ses marchés de maîtrise d'œuvre, que l'avenant qui sera conclu en application de l'article 30-III du décret n°93-1268 du 29 novembre 1993, afin de déterminer le forfait définitif de rémunération, constitue une modification conformément aux dispositions de l'article 139-1° du décret n° 2016-360**. En l'absence de cette disposition, l'avenant ne pourra excéder le seuil européen applicable aux marchés de services et 10% du montant du marché initial, conformément aux dispositions de l'article 139-6° du décret n° 2016-360.
Agnès Lesca
Secrétaire Adjointe de l'AAP
* loi n°85-704 du 12 juillet 1085 relative à la maîtrise d'œuvre publique et ses relations avec la maîtrise d'œuvre privée, dite loi MOP
** Les modifications du marché sont possibles « quel qu'en soit leur montant, [lorsqu'elles] ont été prévues dans les documents contractuels initiaux sous la forme de clauses de réexamen, dont des clauses de variation du prix ou d'options claires, précises et sans équivoque.»
Chers membres,
Chers collègues,
L'année 2018 vient tout juste de commencer que déjà celle-ci promet d'être riche en termes d'évolution de l'achat public.
En effet, déjà les nouveaux seuils (avis publié le 31/12/17 ici) sont applicables dès le premier janvier 2018, venant augmenter sensiblement le nombre de projets qui seront désormais soumis aux seules procédures adaptées (1).
Au 1er octobre 2018, la dématérialisation totale des marchés publics deviendra réalité et peut-être que le code de la commande publique sera aussi au rendez-vous.
Cependant, pour réussir ces innovations et poursuivre la simplification engagée il convient aussi que nous soyons prêts et que l'acheteur soit force de proposition afin de mettre en œuvre un achat public performant et efficace dans sa collectivité ou établissement public.
La simplification n'est pas toujours mise en œuvre par les acheteurs.
Nous constatons en effet qu'encore trop de collectivités prennent des délibérations préalables pour « autoriser le maire à lancer le marché » ou que des commissions d'appel d'offres pratiquent toujours l'ouverture de candidatures en séance....Que des candidatures comportent toujours un bon nombre d'attestations en plus des formulaires simplifiés ou que la confusion est totale entre signature dématérialisée et document signé numérisé.
Toutes ces habitudes font perdurer les idées reçues tenaces, et la remarque « les marchés publics c'est long et compliqué » reste malheureusement d'actualité.
L'association des acheteurs publics entend bien être à vos côtés pour toutes vos propositions de mise en œuvre de la dématérialisation mais aussi de force de réseau afin de partager les bonnes pratiques de l'achat public.
Déjà nous vous donnons rendez-vous à Paris pour une matinée organisée par le MEDEF le 18 janvier (programme ici et inscription ici) puis le 23 janvier au Club marchés du Moniteur à Evry (programme ici) puis le 16 mars à Angers avec l'INSET pour une journée (actuellement en préparation) consacrée à l'achat public, et enfin, le 22 mars, au forum des acheteurs organisé par la gazette (programme ici)
Tous les membres du conseil d'administration et du bureau se joignent à moi pour vous remercier de votre fidélité et pour vous présenter une excellente année 2018.
Bonjour chez vous!
Alain BÉNARD
Président de l'AAP
(1)Petite subtilité signalée aux acheteurs : l'avis modifiant les seuils de procédure publié le 31 décembre 2017, n'a pas d'incidence sur les dispositions du CGCT quant aux seuils de transmission des contrats au contrôle de légalité (article D.2131-5-1).Ces derniers ont été modifiés par décret n°2015-1904 du 31 décembre 2015 et restent donc d'actualité (seuil de 209 000 € HT) puisque l'avis précité ne peut pas modifier le CGCT. Les collectivités doivent donc continuer à transmettre leurs marchés supérieurs à 209 000 € HT au Contrôle de légalité, tant que les dispositions du CGCT n'auront pas été modifiées.
Le dilemme de la qualification des achats inférieurs à 25 000 euros
Par une réponse ministérielle[1] publiée le 24 août dernier, le ministère de l'Intérieur considère que l'obligation d'information des candidats évincés, résultant des articles 99 et 100 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, est applicable aux marchés d'un montant inférieur à 25 000 euros HT lorsque l'acheteur décide volontairement de mettre en concurrence ces marchés. Si cette doctrine apparaît incontestable en pratique, le ministère de l'Intérieur reste toutefois silencieux quant à son fondement juridique.
Et pour cause, la classification des marchés publics de moins de 25 000 euros HT pose question. Etant inclus dans la catégorie des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence (article 30-I-8° du décret), les achats inférieurs à 25 000 euros HT échappent au champ d'application des marchés conclus selon une procédure formalisée. Cette dernière catégorie est en effet limitativement constituée des procédures suivantes : appel d'offres ouvert ou restreint, procédure concurrentielle avec négociation, procédure négociée avec mise en concurrence préalable et dialogue compétitif (articles 25 et 26 du décret).
Par ailleurs, la mention des marchés d'un montant inférieur à 25 000 euros HT dans la liste des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables laisse à penser que ces achats ne relèvent pas davantage de la procédure adaptée (mapa), cette dernière étant présentée distinctement de la première, tant par l'article 42 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, que par les articles 27 et 30 du décret du 25 mars 2016.
Pour éclairer l'acheteur, il est intéressant de se pencher sur la fiche de la DAJ de Bercy concernant les marchés à procédure adaptée et autres marchés publics de faible montant.[2]
En effet, la position de la DAJ sur le cas particulier des marchés publics qui répondent à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 25 000 euros HT est source d'ambigüité pour les acheteurs. Selon cette Direction, si l'acheteur estime nécessaire de procéder à une mise en concurrence, ces marchés publics sont soumis aux dispositions applicables aux marchés à procédure adaptée.
En réalité, il apparaît donc que deux catégories de marchés inférieurs à 25 000 € HT existent :
- Les marchés d'un montant inférieur à 25 000 euros HT conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables, rattachés à la procédure négociée de l'article 30-I-8° du décret marchés publics ;
- Les marchés d'un montant inférieur à 25 000 euros HT précédés d'une mise en concurrence, lesquels, dans ce cas, rentrent dans le champ d'application des marchés passés selon une procédure adaptée.
Cette distinction permet ainsi de justifier juridiquement la doctrine du ministère de l'Intérieur selon laquelle l'obligation d'information des candidats non retenus, applicable aux seules procédures formalisées et au mapa en vertu des dispositions règlementaires susvisées, soit opposable aux marchés de moins de 25 000 euros HT volontairement mis en concurrence par l'acheteur.
Dans la mesure où, par définition, les marchés d'un montant inférieur à 25 000 euros HT sont inférieurs aux seuils européens, ces contrats mériteraient davantage la qualification de « mapa » tels que ces derniers sont définis par l'article 27 du décret : « Lorsque la valeur estimée du besoin est inférieure aux seuils de procédure formalisée, l'acheteur peut recourir à une procédure adaptée […] ».
Arnaud LATRECHE
Vice-président de l'AAP
4 décembre 2017
[1] QE n° 00488 de M. Jean Louis Masson (Moselle – NI), rép. min. publiée au JO Sénat du 24 août 2017.
[2] Les marchés à procédure adaptée et autres marchés publics de faible montant - Espace marchés publics - Rubrique Conseil aux acheteurs / Fiches techniques