Un contrat de bail conclu par une personne publique n’est pas un marché public : vraiment ?

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(Tribune publiée sur le site achatpublic.info le 14 septembre 2023)

Par sa décision n° 4278 du 3 juillet 2023, le Tribunal des conflits considère qu’un contrat de bail conclu entre une personne publique (preneur) et une personne privée (bailleur) pour les besoins de la première n’est pas un marché public.

Dans l’affaire objet du conflit négatif de compétence entre le tribunal judiciaire et le tribunal administratif, le preneur du bail conclu en 2017 était une commune, soumise dès lors à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, alors en vigueur.

Le Tribunal des conflits juge que le contrat de bail n’est pas un marché public. Fidèle à sa jurisprudence (T. confl., 5 décembre 1977, n° C02059 ; T. confl., 17 octobre 2011,n° C3809), il constate également que ce contrat ne comporte aucune clause justifiant que, dans l’intérêt général, il relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Par ailleurs, l’objet du bail est simplement de permettre l’occupation temporaire du local par les services communaux et non de confier l’exécution même d’un service public au bailleur.

L’affaire est donc renvoyée devant le juge judiciaire, seul compétent pour connaître des litiges contractuels relevant du droit privé.

La négation laconique par le tribunal de la qualification de marché public peut interroger : ” Le bail conclu le 9 juin 2017 entre Mme C.et la commune de Baie-Mahaut, qui avait pour objet l’accueil temporaire des services de la ville, n’a pas le caractère d’un marché public“. Les conclusions de la rapporteure n’apportent pas davantage d’éclairage sur ce point.

Rappelons que l’ordonnance du 23 juillet 2015 excluait de son champ d’application “les marchés publics de services qui ont pour objet l’acquisition ou la location, quelles qu’en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles, ou qui concernent d’autres droits sur ces biens” (article 14-2°).

Conformément à l’article 3 de cette ordonnance, le contrat de bail en cause échappait ainsi à la qualification de contrat administratif par détermination de la loi : “Les marchés publics relevant de la présente ordonnance passées par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs“.

On peut malgré tout se demander si le refus de regarder ce contrat comme un marché public est justifié.

En effet, l’article 14-2° de l’ordonnance qualifiait expressément de marché public le contrat en cause.

Par ailleurs, la formulation de l’article 1 de cette ordonnance pouvait laisser entendre que certains marchés publics n’étaient pas pour autant soumis à l’ordonnance : “Les marchés publics soumis à la présente ordonnance […]”. Il en serait allé autrement si la rédaction suivante avait été retenue : “La présente ordonnance s’applique aux marchés publics“.

Toutefois, l’exclusion des contrats de location de biens immeubles du champ d’application de l’ordonnance a sans doute conduit le Tribunal des conflits à considérer qu’elle écartait implicitement la qualification de marchés publics.

Qu’en irait-il aujourd’hui des contrats de bail conclus par les personnes publiques ?

A la différence de l’ordonnance du 23 juillet 2015, le Code de la commande publique (CCP) n’exclut pas de son champ d’application les contrats de location de biens immeubles.

Selon son article L.2512-5, les “marchés publics” portant sur des services d’acquisition ou de location de bâtiments existants sont soumis aux dispositions du titre II du livre V du CCP. Les articles L.2521-1 à L.2521-5 soumettent ainsi ces contrats aux dispositions du CCP relatives aux délais de paiement, à la sous-traitance, à la résiliation, au règlement amiable des litiges et à la facturation électronique.

En revanche, si, selon toute vraisemblance, les contrats de bail de biens immeubles conclus par les personnes publiques sont incontestablement des marchés publics, ils ne sont pas nécessairement des contrats administratifs.

L’article L.6 du CCP dispose en effet que les marchés publics conclus par les personnes morales de droit publics sont en principe des contrats administratifs (par détermination de la loi). Il en va différemment des marchés publics relevant du livre V de la deuxième partie du CCP. Selon les critères jurisprudentiels bien connus (T. confl., 13 octobre 2014, n° C3963, T. confl., 2 novembre 2020, n° C4196, CE, 20 juillet 2022, n° 457616), ces marchés publics méritent la qualification de contrats administratifs s’ils confient l’exécution même d’un service public au titulaire du contrat ou s’ils comportent des clauses inhabituelles, en faveur de la personne publique, justifiant qu’ils relèvent du régime exorbitant des contrats administratifs.

En conclusion, les contrats de bail de biens immeubles conclus par les personnes publiques sont des marchés publics soumis au CCP, mais ils relèvent, soit du régime des contrats administratifs, soit des règles applicables aux contrats privés, selon leur objet ou leurs clauses.

Arnaud LATRECHE – 05 septembre 2023

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